Par : Jean-François Roberge LL.M., M.Sc., LL.D. professeur et directeur des programmes en prévention et règlement des différends, Faculté de droit, Université de Sherbrooke. Membre du Conseil d’administration.
Qu’est-ce que la justice participative ?
La justice participative est une nouvelle vision de la justice qui possède le potentiel de réduire les contraintes (tels que les coûts et délais, etc.) et de rejoindre les attentes contemporaines des justiciables (tels qu’une plus grande implication dans les normes de référence pour définir le problème et dans le choix d’une solution adaptée) pour améliorer l’adaptabilité du système judiciaire et répondre au défi de l’accès à la justice. La justice participative est un cadre d’intervention fondé sur trois valeurs (respect, créativité, proactivité) actualisées dans les trois dimensions (interaction, contenu, processus) d’un mode de prévention et règlement des différends (PRD).
Comment devient-on un praticien en justice participative ?
Le praticien en PRD devra développer une pratique réflexive qui repose sur des postulats.
Premièrement, le praticien en justice participative doit croire que les modes de PRD sont davantage qu’un art intuitif. Chacun des modes de PRD est une démarche d’intervention qui exige de poser le diagnostic d’une situation, d’établir les stratégies d’intervention, d’intervenir systématiquement et de réviser les stratégies si le changement visé n’est pas atteint. Le praticien sera alors conscient de l’existence d’un cadre d’intervention.
Deuxièmement, le praticien en PRD doit reconnaître les trois dimensions essentielles et complémentaires de son intervention dans un processus de PRD (contenu, processus, interaction). Le praticien sera alors conscient de l’amplitude du cadre de son intervention.
Troisièmement, le praticien en PRD doit orienter son intervention vers l’actualisation des trois valeurs fondamentales de la justice participative (respect, créativité, et proactivité). Le praticien sera alors conscient des valeurs de la justice participative et pourra promouvoir des services en justice participative dans l’espoir de relever les défis de l’accès à la justice.
Quatrièmement, le praticien en PRD doit développer les compétences pratiques nécessaires à l’exercice de la justice participative. Le praticien doit aussi maîtriser les outils stratégiques de justice participative. Quelles sont les compétences principales de la justice participative ? Pour être compétent en justice participative, nous suggérons que le praticien doit développer les 12 compétences suivantes :
- diagnostiquer les motivations de manière contextuelle;
- choisir le mode de PRD approprié;
- stimuler la collaboration;
- maîtriser un processus intégratif;
- reconnaître l’éthique de la négociation;
- planifier et évaluer le succès en négociation;
- reconnaître les limites au succès en négociation;
- préparer une négociation intégrative;
- pratiquer une négociation intégrative;
- contourner les techniques compétitives de négociation;
- développer la curiosité;
- développer la créativité.
Comment la justice participative pourrait-elle changer le milieu juridique ?
La justice participative pourra répondre au défi de l’accès à la justice si le milieu juridique développe une nouvelle culture de la résolution de problème. La culture classique de règlement des différends du milieu juridique est une mentalité distributive fondée sur le mérite.
Ce mérite peut se définir comme étant le plus près possible de la réalité du « rapport de force » ou encore de la « vérité ». Dans le monde juridique, le rapport de force sera souvent lié au contexte dans lequel vivent les parties en présence alors que la vérité sera souvent liée à l’état du droit positif. La mentalité distributive est l’affrontement d’idées opposées vers le choix de l’idée qui possède le plus de mérite. La mentalité distributive implique la capacité de choisir la meilleure idée parmi les idées opposées ou de construire un compromis à partir des idées opposées.
Quelle est cette nouvelle culture de résolution de problème que devrait adopter le praticien en PRD pour mettre en action la justice participative et relever le défi de l’accès à la justice ?
Nous suggérons que le praticien doit adopter une mentalité intégrative de règlement des différends. La justice participative implique une pensée intégrative soit l’intégration d’idées opposées vers la création d’une nouvelle idée rassembleuse. La mentalité intégrative implique la capacité de résoudre constructivement la tension entre des idées opposées par la création d’une nouvelle idée qui contient des éléments des idées opposées tout en étant supérieure à chacune d’elle.
Pourquoi la mentalité intégrative est-elle cohérente avec la justice participative ?
D’abord parce qu’elles partagent les mêmes valeurs de respect, de créativité et de proactivité. La mentalité intégrative respecte les idées opposées. Elle résout la tension entre les idées opposées par la création d’une nouvelle idée supérieure. Elle implique les parties au cœur du processus de résolution des tensions entre les idées opposées. Ce sont les parties au différend qui devront créer une nouvelle idée rassembleuse qui respecte les idées opposées tout en leur étant supérieure.
Ensuite, la mentalité intégrative est cohérente avec la justice participative parce qu’elles sont inter-reliées en pratique. La mentalité intégrative est un état d’esprit alors que la justice participative est un cadre d’intervention. En pratique, le professionnel est dans un état d’esprit déterminé lorsqu’il pratique une intervention. Nous suggérons que c’est la mentalité intégrative, et non la mentalité distributive, qui est cohérente avec la mise en action de la justice participative parce qu’elles partagent les mêmes valeurs fondatrices.
Quelles sont les phases de changement nécessaires dans le milieu juridique pour relever le défi de l’accès à la justice ?
La justice participative est une réponse au défi de l’accès à la justice. Ce sont les juristes de même que les spécialistes de la prévention et du règlement des différends et plus largement tous les acteurs de la régulation sociale qui peuvent rendre cette offre de justice participative accessible aux citoyens. Pour relever le défi de l’accès à la justice par la justice participative, le milieu juridique doit changer sa culture distributive de règlement des différends. Le milieu juridique devra développer une culture intégrative de règlement des différends cohérente avec les valeurs de respect, de créativité et de proactivité propres à la justice participative. Le milieu juridique devra évoluer à travers trois phases de changements :
- Changer pour la justice participative. Changer le milieu juridique par une nouvelle offre de justice à rendre au justiciable. Changer de mode de régulation sociale pour passer d’un mode autoritaire et hiérarchisé à un mode ouvert et intégratif. De la vérité selon une autorité à une vérité selon les parties. Changer les valeurs de l’intervention du juriste vers le respect, la créativité et la proactivité. Amener une réflexion sur les modes appropriés de prévention et règlement des différends.
- Changer pour une mentalité intégrative de règlement des différends. Changer l’état d’esprit du juriste et du spécialiste en PRD pour qu’il voie autrement le problème à résoudre. Changer pour complexifier abstraitement et concrètement le processus de règlement des différends pour qu’il soit fidèle à la complexité de la réalité vécue par le justiciable. Changer pour stimuler la collaboration entre les parties plutôt que la rivalité. Changer pour créer les solutions mutuellement satisfaisantes qui intègrent les motivations fondamentales des parties et leur procure le sentiment de justice recherché.
- Changer pour une pratique intégrative de la négociation. Changer les pratiques de régulation sociale pour permettre aux justiciables de construire leur réalité commune dans toute sa complexité. Changer la conception du succès des interactions entre les parties à un différend. Changer pour la négociation d’un règlement des différends conforme aux valeurs de respect des différences, de créativité des solutions et de proactivité des parties. Changer la préparation et la pratique de la négociation d’un différend pour stimuler la collaboration entre les parties, leur curiosité et leur créativité.
Quel est le rôle de l’IMAQ dans le développement de la justice participative ?
L’IMAQ et ses membres sont des spécialistes en PRD qui peuvent agir en leader dans le développement de la justice participative.
Toutefois, l’organisation et ses membres doivent s’assurer que ses pratiques soient cohérentes avec les valeurs d’intervention de la justice participative. En principe, tous les modes de PRD du continuum et toutes les pratiques ont le potentiel d’être qualifiés de justice participative. Par ailleurs, toutes les pratiques concrètes de ces modes de PRD ne peuvent être qualifiées de justice participative. Seules les pratiques qui promeuvent les valeurs du cadre d’intervention (respect-créativité, proactivité) de la justice participative dans toutes les dimensions d’un mode de PRD (contenu, processus, interaction) peuvent être qualifiées de justice participative. Les pratiques qui ne respectent pas le cadre d’intervention de la justice participative pourraient être adaptées à une situation problématique et tout aussi efficaces pour la régler. Toutefois, elles ne pourraient pas être qualifiées de justice participative puisqu’elles ne constituent pas une nouvelle offre de justice.
Par leur expertise reconnue en PRD, l’IMAQ et ses membres ont la responsabilité de porter la justice participative avec des mains respectueuses, créatives et proactives.