Me Diane Sabourin, CHRA, arbitre et formatrice
Présidente du Comité d’arbitrage civil et commercial de l’IMAQ
Le mémoire présenté par l’IMAQ relativement au Projet de loi 28 intègre, en très grande partie, le Rapport du Comité d’arbitrage civil et commercial du 20 août 2013 (28 pages, exclusion faite de l’Annexe qui est la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international). Nous sommes heureux de constater que le gouvernement du Québec a retenu plusieurs de nos recommandations, mais il reste encore à parcourir du chemin pour atteindre une meilleure justice… voire pour changer les mentalités, et surtout les façons de faire !
Une réforme majeure de l’arbitrage civil et commercial avait déjà eu lieu en 1986, avec l’adoption des nouveaux articles 940 à 951.2 du Code de procédure civile (C.P.C.). Aussi, l’on ne sera pas surpris que les modifications en matière d’arbitrage aient cette fois-ci été de moindre envergure…
Le législateur québécois a opté pour le caractère volontaire des modes PRD, résultant du «commun accord des parties intéressées». Ainsi donc, contrairement à l’arbitrage de griefs en droit du travail qui est obligatoire, l’arbitrage civil et commercial demeure le libre choix des parties.
Dans la foulée de ce nouveau Code de procédure civile, nous pouvons d’ores et déjà anticiper que des efforts additionnels devront être fournis par l’IMAQ pour inciter davantage les parties à insérer une clause d’arbitrage dans les divers contrats qu’elles sont appelées à signer…
Les principales règles régissant l’arbitrage civil et commercial se trouvent énoncées aux articles 620 à 655 du nouveau Code de procédure civile. (Voir la référence au livre VII, qui est faite à l’article 6.)
Le rôle traditionnel de l’arbitre s’y trouve ainsi défini : «trancher un différend conformément aux règles de droit, (…) aux stipulations du contrat qui lie les parties», tout en tenant compte «des usages applicables» du milieu (article 620). L’arbitre peut aussi être appelé à jouer un rôle d’amiable compositeur (paragr. 1), bien qu’à tort les parties aient depuis 1986 été quelque peu «frileuses» à confier un tel rôle à l’arbitre.
Ce qu’il y a de nouveau au niveau du rôle de l’arbitre, se trouve ainsi stipulé au paragraphe 2 de ce même article 620 : L’arbitre peut tenter d’abord de concilier les parties, «si les parties le lui demandent et que les circonstances s’y prêtent». Dans l’éventualité où cette tentative de conciliation échoue, le même arbitre peut «poursuivre l’arbitrage» et ce, «avec le consentement exprès des parties».
Il y aura toujours des pour et des contre concernant le recours au med/arb, du fait que c’est la même personne qui coiffe d’abord le chapeau de conciliateur, pour ensuite revêtir celui d’arbitre. Reste que le fait de confier ces 2 rôles à 2 tiers distincts risque d’allonger le processus d’arbitrage. Qui plus est, une bonne conciliation fait souvent en sorte que le recours à l’arbitrage n’est plus nécessaire !
L’arbitre jouit maintenant d’une immunité codifiée, dans l’exercice de sa mission : L’arbitre ne pourra être poursuivi en justice que s’il «a agi de mauvaise foi ou a commis une faute lourde ou intentionnelle» (art. 621). Pourquoi le législateur ne s’est-il pas exprimé de la même manière que pour l’arbitre de griefs à l’article 100.1 du Code du travail : «L’arbitre ne peut être poursuivi en justice en raison d’actes accomplis de bonne fois dans l’exercice de ses fonctions» ?
Par ailleurs, le législateur québécois a continué à reconnaître la grande autonomie dont jouissent les parties à une convention d’arbitrage : Les questions qui en font l’objet ne peuvent être portées devant les tribunaux civils (art. 622, paragr. 1). Il peut même y avoir demande de renvoi à l’arbitrage, le délai pour ce faire étant désormais fixé à 45 jours (paragr. 2).
Cependant, les limites importantes suivantes sont apportées à la liberté contractuelle des parties : Les règles concernant la compétence des tribunaux civils, les principes de contradiction et de proportionnalité, le droit de recevoir notification d’un acte, l’homologation ou l’annulation de la sentence arbitrale, ainsi que la Loi (art. 622, paragr. 3, ainsi que paragr. 1 in fine).
Alors qu’actuellement, la règle générale est d’avoir un tribunal composé de 3 arbitres, voici qu’avec le nouveau Code de procédure civile, c’est plutôt l’inverse : l’arbitre unique est désormais la règle ; cependant, le tribunal à 3 arbitres demeure encore possible, si tel est le souhait des parties. Mais encore faut-il alors que le jeu en vaille vraiment la chandelle !
Bravo ! La règle de la proportionnalité, qui avait déjà été introduite en 2002 dans l’actuel Code de procédure civile (art. 4.2), s’impose désormais aussi en matière d’arbitrage (art. 632, paragr. 1, ainsi que l’art. 2, paragr. 2) : Les parties et l’arbitre devront désormais «veiller à ce que les démarches (…) demeurent proportionnelles quant à leur coût et au temps exigé, à la nature et à la complexité de leur différend».
La procédure d’arbitrage demeure orale, en audience, avec possibilité de présenter un exposé écrit. Cependant, les parties peuvent désormais convenir que cette procédure a plutôt lieu «sur le vu du dossier» (art. 633, paragr. 1). Pareille procédure peut être avantageuse pour les cas d’interprétation où il n’est pas nécessaire d’entendre une «ribambelle» de témoins.
Le nouveau Code de procédure civile prévoit désormais des règles sur la communication de la preuve devant les tribunaux civils. Aussi, il n’est pas étonnant que l’arbitre se trouve désormais doté du pouvoir de demander aux parties un exposé de leurs prétentions, un échange préalable des pièces à déposer, ainsi que la communication des rapports d’expertise avant l’arbitrage (art. 633, paragr. 2). L’arbitre sera ainsi plus à même de rappeler aux parties leurs obligations de «participer de bonne foi, de faire preuve de transparence l’une envers l’autre (…) et de coopérer activement» au mode PRD qu’est l’arbitrage (art. 2, paragr. 1).
Autre nouveauté : La responsabilité des parties, à l’égard des honoraires de l’arbitre et des frais d’arbitrage, s’y trouve désormais codifiée (art. 637). Quant au protocole préjudiciaire, désormais prévu pour les modes PRD, le partage des coûts de cette procédure est plutôt prévu à l’article 2 (paragr. 1 in fine). Dans ces deux cas, dommage que le législateur n’ait pas poussé plus loin en stipulant une responsabilité de paiement, conjointe et solidaire !
Parmi les modifications importantes apportées, celle introduisant les mesures d’exception (art. 638 à 641) mérite assurément d’être soulignée : À la demande d’une partie, l’arbitre peut «prendre toute mesure provisionnelle ou propre à sauvegarder les droits des parties», moyennant cautionnement possible (art. 638). Enfin fini, du moins espérons-le, la controverse jurisprudentielle qui a trop longtemps prévalu au Québec et selon laquelle de tels pouvoirs s’apparentaient à l’émission d’une injonction, du ressort exclusif des tribunaux civils !
En cas d’urgence, l’arbitre peut prononcer une ordonnance provisoire, et ce, pour un maximum de 20 jours (art. 639). Sur demande des parties, l’arbitre peut même modifier, suspendre ou rétracter la mesure provisionnelle ou de sauvegarde, ou encore l’ordonnance provisoire (art. 640, paragr. 2). Là où les choses se compliquent, c’est que l’arbitre peut utiliser de tels pouvoirs, d’office (c’est-à-dire de lui-même), dans certaines circonstances qui devront certainement rester exceptionnelles !
Pour s’assurer de la célérité du processus d’arbitrage, un délai de 3 mois se trouve désormais imposé à l’arbitre pour rendre sa sentence, sous réserve d’une prolongation possible (art. 642, paragr. 3). Enfin, un beau premier effort du législateur d’harmoniser ce qui se fait en arbitrage de griefs (Code du travail), avec l’arbitrage civil et commercial (Code de procédure civile)…
Alors qu’autrefois seul le secret du délibéré était sanctionné, voici qu’avec le nouveau Code de procédure civile, l’arbitre est aussi tenu de respecter la confidentialité du processus d’arbitrage (art. 644). Pareille obligation de confidentialité est d’ailleurs faite aux parties ayant recours à un mode PRD (art. 4).
L’homologation (art. 645 à 647) et l’annulation (art. 648) demeurent les seuls recours possibles à l’encontre d’une sentence arbitrale qui lie les parties (art. 642, paragr. 1), de même que d’une mesure provisionnelle ou de sauvegarde (art. 647 et par référence, art. 648 paragr. 1).
N’eut été du 3e paragraphe de l’article 622 du nouveau Code de procédure civile, il s’en est fallu de peu pour que l’appel ou autre recours soit possible ! En effet, tant dans l’Avant-projet de loi que dans le Projet de loi #28, on ne retrouvait pas l’équivalent de l’actuel article 940 du Code de procédure civile. Cet article 940 prévoit actuellement que les parties ne peuvent, dans leur convention d’arbitrage ou autrement, déroger à certains des articles y spécifiquement énumérés, notamment aux actuels articles 946 à 947.4, qui prévoient l’homologation et l’annulation comme seuls recours possibles à l’encontre d’une sentence arbitrale.
Rappelons que l’homologation a pour but de conférer à une sentence la même force exécutoire que celle d’un jugement civil. Pour sa part, l’annulation est le seul moyen d’attaquer une sentence arbitrale, mais seulement pour l’un ou l’autre des 7 motifs de droit qui y sont spécifiquement énoncés et qui, Dieu soit loué, sont demeurés les mêmes que ceux prévus lors de la réforme de 1986 (art. 648, paragr. 1, qui réfère à l’art. 646).
Comme on aura tôt eu fait de le constater, les 7 motifs d’annulation n’ont rien à voir avec un appel, comme c’est possible pour un jugement civil, moyennant autorisation préalable. Ce n’est que dans l’une ou l’autre des 7 situations suivantes que le tribunal saisi d’une demande d’annulation pourra casser la sentence déjà rendue par l’arbitre : incapacité juridique d’une des parties à la convention d’arbitrage, invalidité de la convention d’arbitrage, non-respect du mode de nomination de l’arbitre ou encore de la procédure applicable, défaut de la partie perdante d’avoir dûment été informée de l’arbitrage ou son impossibilité de faire valoir ses prétentions, sentence arbitrale qui porte sur un différend non visé dans la convention d’arbitrage ou qui en dépasse les termes, l’objet du différend qui ne peut être réglé par arbitrage au Québec (ex : divorce) ou enfin la sentence qui est contraire à l’ordre public.
Autre bonne nouvelle : Afin de resserrer l’intervention du tribunal civil par rapport à la sentence rendue par l’arbitre, voici que dans sa version finale, le nouveau Code de procédure civile prévoit spécifiquement que ce tribunal, saisi d’une demande en homologation ou annulation, «ne peut examiner le fond du différend». Voici qui comble un important oubli, qui avait été fait dans le Projet de loi #28 et que l’IMAQ, via le Comité d’arbitrage, avait souligné dans son 2e Mémoire…
Enfin, tout comme pour l’actuel Code de procédure civile, des dispositions particulières sont prévues pour l’arbitrage commercial international, y compris pour le commerce interprovincial. Dans le nouveau Code, ces dispositions figurent aux articles 649 à 655. Outre la mesure provisionnelle ou de sauvegarde, force nous est de reconnaitre que ce sont seulement des modifications mineures qui ont été apportées à ce chapitre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteure et ne traduisent pas nécessairement celles de l’IMAQ.