
Par : Me Pierre D. Grenier
Et si vos contrats pouvaient vous donner un cadre pour mieux résoudre les conflits avant même qu’ils ne s’éternisent? À travers l’exemple fictif d’Habitec inc. (« Habitec »), cet article analyse les défis liés aux clauses « classiques » d’élection de for et de lois applicables au contrat, tout en explorant d’autres approches pour mieux gérer les différends commerciaux.
Quand une clause fait toute la différence : le cas Habitec
Charles est président de la société immobilière Habitec. Cette société se spécialise dans l’acquisition et la gestion d’immeubles de logements locatifs et a connu une croissance importante depuis 10 ans. En pleine période de la pandémie de Covid-19, Charles a eu une opportunité unique de vendre l’un des immeubles phares d’Habitec, l’« Horizon », situé à Baie Saint-Paul, à des investisseurs de Vancouver qui voulaient s’implanter au Québec. Après plusieurs mois de négociation, une entente intervient aux termes de laquelle Habitec vend l’Horizon pour un montant de 10 millions de dollars avec une balance de prix de vente de deux millions de dollars payable à la première date d’anniversaire de la clôture seulement si les représentations concernant le flux de trésorerie de l’immeuble s’avèrent exactes. La convention de vente a été préparée par les conseillers juridiques de l’acheteur.
Charles vient de recevoir une lettre de l’acheteur visant à l’informer que le paiement de la balance de prix de vente ne serait pas effectuée, en totalité ou en partie, alléguant que le flux de trésorerie de l’immeuble avait été faussement reflété dans les états financiers d’Habitec et ne s’était donc pas matérialisé selon les représentations d’Habitec lors de la vente. Charles est en total désaccord avec ces allégations et croît plutôt qu’il s’agit d’une excuse pour ne pas payer. L’acheteur ne retourne plus ses appels et les communications sont au point mort.
Comptant sur cette entrée de fonds importante pour procéder au paiement de réclamations et d’hypothèques légales à la suite de la construction d’un autre immeuble, le Projet Montagne, dont les problèmes et les retards se sont multipliés pendant la pandémie, Charles est extrêmement ébranlé par cette tournure d’événement et inquiet de la situation qui pourrait en découler. Il souhaite donc évaluer rapidement ses options. Il consulte alors Louis, son conseiller juridique de longue date, qui n’a cependant pas été impliqué dans la transaction.
Sans cette entrée de fonds, Habitec risque de perdre définitivement ses investissements importants dans le Projet Montagne et mettre à risque la santé financière de l’entreprise.
La clause « classique » de règlement de différends
À la suite de son analyse préliminaire de la convention de vente, Louis relève la clause suivante et en informe aussitôt Charles :
La présente convention, son interprétation, exécution, application, validité de même que ses effets sont assujettis et régis par les lois applicables dans la province de Québec. Les parties élisent domicile dans la ville de Vancouver, province de Colombie-Britannique, et les tribunaux de ce comté ont la juridiction exclusive pour entendre tout litige, injonction ou autre recours relié aux présentes.
Cette clause dite « classique » d’élection de for et d’attribution de compétence aux tribunaux judiciaires en cas de litige se retrouve régulièrement dans les contrats commerciaux [2].
Il ressort de cette clause que Charles n’a d’autre choix que de procéder, à grands frais et sans pouvoir réellement apprécier à quel moment il pourra se faire payer, le cas échéant, devant les tribunaux judiciaires situés à Vancouver afin d’obtenir éventuellement une condamnation monétaire contre l’acheteur. Questionné par Louis, Charles explique que cette clause a été ajoutée à la toute dernière minute avant la signature de la convention de vente, mais qu’il ne s’est pas vraiment préoccupé de sa portée ou signification n’ayant aucun doute à ce moment-là que la balance de prix de vente serait payée comme convenu par l’acheteur avec lequel il entretenait une bonne relation commerciale!
La clause dite « escalatoire »
Retournons en arrière. Dans un scénario alternatif, Charles avait anticipé les risques et consulté son conseiller juridique. Il avait ainsi requis qu’une clause escalatoire soit insérée dans la convention de vente pour mieux protéger ses intérêts dans le contexte de son analyse des risques financiers et légaux de la transaction envisagée.
L’exigence de l’acheteur de rendre conditionnel le paiement d’une partie importante du prix de vente interpelle Charles à plusieurs égards. Bien que Charles soit prêt à retarder la réception de cette balance de prix de vente, il souhaite ardemment conclure la transaction pour obtenir les fonds nécessaires à la réalisation du Projet Montagne qui ne va pas très bien. La réputation d’Habitec auprès de ses banquiers et investisseurs est à risque également.
Il confie à Louis ses inquiétudes au moment de négocier les modalités de la convention de vente de l’Horizon et lui demande conseil car il anticipe que l’acheteur, malgré le fait qu’il entretient de bonnes relations commerciales avec lui, pourrait éventuellement faire faux bond lorsque viendra le temps de payer la balance du prix de vente.
Louis lui suggère d’inclure à la convention de vente une clause de règlement de différends dite « escalatoire » qui décrira la procédure à suivre et les mécanismes de règlement de différends applicables. L’extrait suivant de la note de service préparée par Louis explique comme suit les étapes de cette clause et leurs avantages :
Objet : |
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Une clause de règlement de différends dite « escalatoire » propose aux parties les étapes successives servant à faire progresser le différend vers un règlement définitif. Cette clause a l’avantage de permettre aux parties de connaître à l’avance quelles sont ces étapes de même que les mécanismes de règlement du différend applicables. Les parties seront donc amenées à gérer de manière plus proactive le différend et trouver un compromis, le cas échéant, compte tenu que les délais pour obtenir une décision finale seront beaucoup plus rapides et circonscrits que de soumettre le différend aux tribunaux judiciaires. Voici les étapes qui devraient être incluses dans cette clause : |
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ÉTAPES | DESCRIPTION DU MÉCANISME ET DES AVANTAGES |
Étape 1 : Négociation |
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Étape 2 : Médiation |
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Étape 3B : Arbitrage |
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[1] La clause d’élection de for et celle relative aux lois applicables pourront effectivement varier.
Clause « classique»
Clause « escalatoire »
Grâce aux recommandations de Louis, Charles a négocié l’intégration à la convention de vente d’une clause de règlement de différend dite « escalatoire », ce qui a permis à Habitec, suite à la réception de lettre de l’acheteur, d’amener l’acheteur à être plus réceptif au respect de ses obligations contractuelles et de trouver un compromis acceptable pour obtenir le paiement de la balance du prix de vente sous réserve de certaines conditions pour la répartir en quelques versements. L’acheteur étant devant la possibilité de se faire condamner rapidement par le tribunal arbitral si l’arbitrage était déclenché par Habitec, il a été jugé préférable de trouver une solution négociée que de devoir prendre ce risque.
Conclusion
Bien que la simplicité des clauses dites « classiques » évite de consacrer du temps et des honoraires à la rédaction d’une clause dite « escalatoire », elles peuvent engendrer des complications légales et procédurales. Les avantages d’une clause escalatoire ont été démontrés en pratique et permettent aux parties, dans bien des cas comme celui du différend d’Habitec, de régler rapidement tout litige en évitant d’encourir des dépenses importantes pour judiciariser leur réclamation.
À propos de Me Grenier
Pierre Grenier est associé chez Dentons Canada, au sein du groupe Litiges et règlement des différends du bureau de Montréal. Spécialisé en droit de la construction, de l’énergie et commercial, il possède une solide expertise en gestion des risques, règlements de différends et droit des sociétés. À titre de plaideur, il intervient dans des dossiers complexes, coordonne des expertises et élabore des stratégies juridiques.
Très engagé à l’IMAQ, il en est président depuis 2014 et membre du CA depuis 2008. Il y siège à plusieurs comités et représente l’Institut auprès de nombreuses instances, tant au Québec qu’à l’international.
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